Je suis en train d'écrire l'histoire de la maladie qui m'est brutalement tombée dessus aux environs du 1er août 2011
Je le fais avant tout pour moi: j'ai un très grand besoin de comprendre, de réfléchir à cet évènement douloureux. Au début je réfléchissais au "pourquoi?". Maintenant et de plus en plus, je suis jour, après jour dans la gestion du "comment?"
Je le fais aussi dans la perspective de publier cette histoire, comme témoignage, qui pourrait peut-être aider ceux et celles qui souffrent de la même maladie. Celle-ci est auto- immune et rare. Cherchant sur le Net je n'ai trouvé que des indications sur la maladie, parfois contradictoires d'ailleurs. De quoi se faire peur! Mais aucun témoignage sérieux de personnes. Je souhaite donc combler une lacune. Non que mon texte soit exemplatif du comment il faudrait vivre tout cela (je le vis très mal parfois, dans la colère et le découragement). Mais je pense justement que d'écrire sincèrement mes doutes, mes difficultés, pourra rejoindre les gens, là où ils sont et qui sait? les aider à dépasser les moments difficiles...
Voici un extrait de mon texte, il se situe aux environs de la p.10
Le 15 août 2011
Que veux-tu que je fasse pour toi ?
Seigneur, faites que je voie
Dit l’aveugle de Bethsabée à Jésus…
C’est quoi voir ? Quelle est la vraie demande de cet homme à Jésus ?
Bonne question : j’aurai beaucoup de temps pour y réfléchir…
Pour l’instant je pleure.
Car ce matin, l’œil gauche est mort, a rendu son dernier soupir, c’est fini ! Il ne voit plus rien, PLUS RIEN ! Il est mort… complètement aveugle ! On ne le rallumera jamais ! C’est arrivé en deux jours de temps, c’est fou ça !
Docteur, je vous en prie, faites que je voie…
Hélas, c’est irréversible, me disent les médecins avec un petit air désolé.
Cet œil est mort et pourtant… il reste vivant, accompagne fidèlement l’autre dans ses promenades oculaires, à droite, à gauche, en haut, en bas, tout paraît normal, personne ne peut deviner quoi que ce soit ! Cet œil fait semblant d’être en bonne santé ! A la limite, on ne me croirait pas, si je disais que....
Deux jours seulement, deux petits jours de rien du tout, le temps d’entrer en clinique, de commencer un traitement d’enfer et voilà !
Le choc est énorme !
« On ne voit bien qu’avec le cœur » dit le renard au petit prince.
Bon, je veux bien et même je suis entièrement d’accord, j’ai toujours aimé les mots du petit Prince…
Mais non, je me rebelle, je ne veux pas me contenter de la vue du cœur. J’ai fait cela durant des années, en m’occupant de mes enfants, de ma famille, des autres, à travers tous les gestes et regards gratuits d’attention et d’écoute que j’ai toujours été prête à donner à chacun.
J’ai plus que jamais besoin de mes yeux pour vivre, pour admirer les paysages d’ici et d’ailleurs, pour me plonger dans mes livres chéris, pour continuer à écrire, pour découvrir d’autres mondes, d’autres cultures, d’autres histoires, pour deviner d’un seul regard que quelque chose ne va pas chez ceux que j’aime, pour voir grandir et changer mes petits enfants, pour guetter sur tant et tant de visages une humanité à déchiffrer, pour admirer tant de tableaux, tant de beautés, tant de splendeurs ! Je suis avide de vivre intensément : les enfants ont quitté la maison, j’ai enfin un peu de temps pour tout cela !
Et puis forcément très vite, surviennent les questions qui laminent, qui déchirent, les questions sans réponse, ces questions qui passent et repassent comme de petits refrains têtus dans la tête, s’éloignent un moment, puis reviennent, lancinants, accélérant les battements du cœur qui s’oppresse, qui n’en peut plus !
Pourquoi cela m’est-il arrivé ? Que n’ai-je pas vu ? Qu’ai-je refusé de voir ? A côté de quoi suis-je passée, consciemment, ou non ?
Les questions se succèdent, au pas de course, au pas de folie. Je suis sans force et sans souffle. J’ai l’impression qu’il me faut découvrir le pourquoi du comment si je veux m’en sortir. La fameuse clé que je ne possède pas et qui m’oblige à patienter (piétiner ?) devant une porte close. La maladie sera-t-elle l’occasion d’une prise de conscience salutaire ? Voire d’un éventuel changement de vie, ou d’une façon différente de l’appréhender ? Est-ce là son sens profond ? Ou au contraire sombrerai-je dans un puits sans fond, sans espoir et sans sens !
De plus, à ce moment-là, je suis loin d’imaginer les ravages que vont m’occasionner jour après jour et pendant des mois, si pas des années, la prise des différents médicaments auxquels je suis « condamnée ». Il me faudra entreprendre de faire un chemin douloureux d’acceptation, avec mes petits moyens de femme ordinaire, dans le découragement bien souvent, avec surtout les points d’interrogation sur la durée de cette traversée qui s’avèrera par moment très difficile !
Déjà, je m’interroge, car je pressens que je ne m’en sortirai pas toute seule : à qui faire appel pour m’accompagner ? Quels livres ? Quelles personnes-ressources ? Quels amis ? Quels thérapeutes ?
J’ai repris mon cahier, pour noter tout ce et ceux à quoi, à qui je pensais… C’est comme si mot à mot, je traçais un avenir possible, dans le chaos qui m’entourait.