J'ai retrouvé ces notes écrites il y a plusieurs mois lors d'un atelier- test que j'ai suivi: écriture-(dé)couture, mais aussi comme vous le lirez, réflexions sur les ressentis lors de cet atelier étrange...
Bon je retrouve ces notes en mettant de l'ordre dans mes textes... je les mets ici, à tout hasard
(c'est long pour une fois...;-))
1. Le choix du vêtement
Cette veste à carreaux gris, (veste légère d’été) il y a longtemps que je l’ai.
Dix ans au moins. Elle vient d’un magasin qui n’existe plus et que j’aimais beaucoup.
Je l’ai portée régulièrement pendant 3 ou 4 ans, souvent. Très souvent.
Trop souvent sans doute. Parce que un jour, je l’ai disqualifiée, rangée au fond d’une armoire. Oubliée pendant cinq ans au moins.
Puis il y a deux ans, je la retrouve, elle m’apparaît comme neuve, elle me plait et je la porte à nouveau volontiers.
Je l’aime et je ne l’aime pas. Certes, elle s’assortit parfaitement à mon pantalon gris préféré. Mais elle manque de couleurs. De couleurs vives. Qui donnent de la lumière à mes yeux. Comme s’il me fallait toujours une certaine audace pour sortir de l’ordinaire, du classique. Pourtant le désir est bien présent de me démarquer, d’oser afficher ma singularité…
« Ne te fais pas remarquer ! »
L’injonction sommeille encore au fond de moi. « Arrête de te vanter! »
Du coup je me fais petite (moi qui suis petite de taille déjà !) me tais le plus souvent en « société » et j’écoute, j’écoute beaucoup. Façon de me faire aimer peut-être. Et puis, j’aime écouter. Les autres sont souvent passionnants quand on les prend la peine de les écouter vraiment.
Donc cette veste je l’aime et je ne l’aime pas.
Raison sans doute pour laquelle je l’ai choisie pour cet atelier-test que j’ai suivi il y a quelques mois. (il fallait apporter un vêtement avec l’objectif de le découdre pour en faire autre chose…et surtout écrire à propos de chaque étape de cette démarche…)
En fait je l’ai prise très vite, sans passer en revue toute ma garde robe, sans accorder beaucoup de temps à un choix réfléchi. J’ai pris le vêtement qui me semblait le plus facile à découdre. J’ai cueilli rapidement un vêtement, pour en avoir vite fini sans trop me prendre la tête et faire ce qu’on me demandait, ne pas arriver les mains vides, pour sauver la face...
En fait j’avais pris deux vêtements faciles à découdre, cette veste dont j’ai parlé, et une blouse chemise achetée et quasi jamais mise : ce qu’on appelle un mauvais achat, coup de cœur d’un instant. Je crois que j’espérais de l’animatrice qu’elle tranche pour moi… Idiot n’est-ce pas, et pourtant là aussi révélateur de qui je suis parfois : ce désir qu’on décide pour moi, parce que j’ai peur de faire le mauvais choix. Et en même temps cette rage de prendre seule mes décisions importantes
Oh la la, ce petit atelier qui semblait si "ludique" commençait à remuer plein de choses en moi. Je n’étais pas au bout de mes peines…
2. Le défilé
J’ai choisi finalement le vêtement auquel je tenais le plus (pas le mauvais achat) Car je pressentais que sinon j’allais passer à côté de l’expérience proposée. Et en effet!
Devant les autres participantes, nous enfilons le vêtement choisi et nous défilons devant les autres, tout en jetant un coup d’œil sur le grand miroir mis en bonne place pour nous admirer. Ou plutôt pour nous lamenter sur nos défauts et particulièrement sur nos fesses (trop grosses) et nos petits ventres…
Je fais comme les autres et je me retrouve sous les feux des regards, bon exercice de détachement par rapport à l’image de soi qu’on transmet aux autres. N’empêche, je prends soin de rentrer mon ventre…
Quand A. enfile son jean, des souvenirs lui remontent. Elle se souvient d’un endroit précis, d’un événement précis de ses 17 ans. C’est un souvenir lumineux.
Je l’écoute étonnée et un peu (beaucoup) envieuse : je suis une albinos des souvenirs. Je me souviens très peu de mon passé, à fortiori de mon enfance. Mon livre « L’enfant à l’endroit, l’enfant à l’envers » a été une tentative pour faire remonter les choses. Mais comme je parle essentiellement de ma grand-mère et de ma mère jeunes, j'ai réécrit leurs souvenirs que j’ai trouvés, entendus, lus, interprétés.
Donc bouffée d’envie par rapport à A. dont le visage s’éclairait lors de son « défilé » en jeans…Elle se souvenait…et cela lui faisait manifestement plaisir.
Est-ce important d’être en contact avec ses souvenirs ?
Est-ce que j’occulte systématiquement et inconsciemment des souvenirs qui risqueraient de m’être dérangeants ?
Mais je suis une grande fille maintenant, dont le deuxième versant de la vie est déjà bien entamé. On s’en fout des souvenirs dérangeants…je suis parvenue à vivre jusque maintenant, pourquoi je ne continuerais pas comme ça, avec ou sans souvenirs ?
3. On découd le vêtement
(pendant qu’on décousait, on écrivait au fur et à mesure ce qu'on ressentait)
Je commence par les boutons. Il y en a six. D’un seul coup plus de boutons. D’emblée la veste est caduque. Les boutons sont son ornement. Rien d’irréversible cependant. Je peux les recoudre. Mais zut, je déteste recoudre des boutons.
Tiens tant qu’à faire, je pourrais trouver des boutons fantaisie plutôt que ces gris monotones. Des boutons qu’on remarquerait par leur originalité…
Les boutons sont décousus, s’alignent devant moi sur la table. J’ai mal au cœur. C'est du gâchis, que je provoque moi-même!. Je prends un petit bout de chocolat noir. Je le suce. Il me console.
Maintenant que j’ai commencé, envie d’aller vite. En finir avec cette œuvre de démolition. Zut alors, qu’est-ce qui m’a pris de participer à cet atelier-test de malheur?
J’essaie de me détacher de ce que je fais, de ne pas m’immerger dans mes gestes de « décousage », de rester en dehors, de m’observer en train de découdre, comme si je faisais une activité bizarre du type d’un jeu un peu étrange, sans conséquence…
Je mets la veste à l’envers pour accéder aux coutures.
Cela me fait penser au titre de mon livre : L’enfant à l’endroit, l’enfant à l’envers. Qu’y a-t-il donc à découvrir à l’envers de ma vie ?
Oups ça devient menaçant. L’émotion monte comme une houle, comme une vague. Gare au tsunami.
Je vieillis. Ma vie s’effiloche. Ca fait fouillis. Je tire sur les fils. Facile. C’est facile de défaire un vêtement. Facile de défaire une vie.
Je me souviens… quand je suis rentrée de voyage de noces, ma mère avait fait ce travail de « décousage » de ma robe de mariée… Elle me l’avait offerte, puis quinze jours après : ma robe en morceaux. Des bouts de tissus (soigneusement emballés sous plastique) dont on n’a rien fait…Rien !
J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. Mais pas devant elle. Rien osé dire… merde alors, cette colère…Mais de quoi elle se mêlait...?
Il y a là un très long fil que je prends soin de ne pas couper comme s’il s’agissait de ma vie. Doucement, tirer doucement. Ne pas le casser.
Finalement je découds sur l’endroit du vêtement. J’accède plus facilement aux points à découdre… Je suis revenue sur l’endroit…l’enfant est à l’endroit, et la femme ?
Oui, maman cousait. Elle avait une machine. Elle faisait des vêtements. Les siens. Les miens. Elle se débrouillait pas mal, sauf qu’elle n’écoutait pas mes préférences. C’est elle qui savait !
Moi qui ne voulais pas ressembler à maman, pendant des années, j’ai confectionné moi-même les vêtements de mes cinq enfants. J’en faisais des compliqués. Eux ils aimaient bien, ils faisaient leur commande, je m’exécutais. Ca m’amusait de créer, d’innover…
Puis j’ai arrêté du jour au lendemain. Fini. Terminé. Il ne faut plus me parler de coudre. D’ailleurs je n’ai plus de machine.
Je sens la résistance gronder en moi : c’est vraiment malin d’abîmer un vêtement auquel je tiens…quand j’écris, au moins c’est constructif, positif, enfin le plus souvent. Les gens aiment mes mots…
Il faut que j’avance plus vite. J'écris trop (ça alors!) Sinon je serai larguée par les autres, en retard, en arrière, en dehors, exclue.
Souvent de peur d’être exclue, je m’exclus moi-même…
Je pensais faire les choses méthodiquement : une manche, puis l’autre. Mais je suis partie sur des chemins de traverse. Je ne sais plus la couture que je défais. Tout ça fait désordre. Je découds avec une certaine rage, pour aller plus vite, pour en avoir fini.
Ma veste ne ressemble plus à rien. C’est bon à jeter. C’est foutu. Je suis en colère. J’ai beaucoup de difficultés à perdre
J’ai commencé par le côté gauche, pourquoi ?
Résistance des points autour du col. (Ni-col-e. Cou-marine) Je râle. Envie de couper à travers tout , de trancher une bonne fois…De trancher quoi ? Je respire pas bien.
Tout-à-coup miracle « ça » lâche. Grande respiration. Je peux continuer sans saloper tout
Le travail avance plus vite, je deviens experte en démolition programmée.
Il fait beau et chaud. Les autres se sont mises au soleil. Je fuis le soleil. Est-ce que je fuis la vie ? Je suis en dehors du groupe, la seule restée à l’intérieur. Elles bavardent je me tais, je suis avec mes mots qui sortent de moi à profusion. La solitude ne me dérange pas, je la recherche.
La manche droite maintenant. Je suis droitière. Il ne restera rien de moi. C’est ma main droite qui écris, qui assume la vie quotidienne…
J’essaie d’agir comme dans un état second, pour prendre distance de mon énervement
Tant pis pour cette veste. J’irai m’en acheter une autre. Je me ferai ce cadeau
L’objectif de cet atelier est de transformer, de faire autre chose.
Aucune idée de ce que je pourrai faire de ces morceaux. Pas de créativité, suis juste bonne à écrire.
Si je recouds cette veste telle qu’elle était, je recommence le passé tel qu’il était. Je ne me donne aucune chance de changement
Mais le changement m’inquiète. Je préfère souvent rester dans le connu, dans la facilité, m’en tenir à ce que je connais, que je sais qui fonctionne ;
Quand je vois cette veste réduite en ses morceaux, j’ai mal au cœur.
Regarder vers aujourd’hui.
C’est décidé : j’irai acheter un nouveau vêtement, je me ferai plaisir gratuitement (enfin, façon de parler…)