Que
veux-tu que je fasse pour toi ?
Seigneur,
faites que je voie…
Dit l’aveugle de Bethsabée à Jésus.
Qu’est-ce que voir ? Que demande cet homme à Jésus ? Bonne
question : j’aurai beaucoup de temps pour y réfléchir. Pour l’instant, je
pleure.
Car ce matin, l’œil gauche a rendu son
dernier soupir : c’est fini ! Il ne voit plus rien. Définitivement
mort. Quelques jours ont suffi, qui l’aurait cru ?
Docteur, je vous en prie, faites que je
voie…
Hélas, c’est irréversible, me disent les
médecins d’un air désolé. Le nerf optique est bien mort ! Allons courage,
il faut sauver l’autre œil ! Voilà l’objectif prioritaire. Je regarde la
perfusion de cortisone couler goutte à goutte dans mon bras gauche. L’œil est mort et pourtant il semble rester vivant, il accompagne fidèlement l’autre
dans ses promenades, à droite, à gauche, en haut, en bas. Tout paraît normal,
personne ne peut deviner quoi que ce soit ! Mon œil mort fait semblant
d’être en bonne santé.
« On
ne voit bien qu’avec le cœur » dit le renard au Petit Prince. J’ai toujours
aimé les mots de Saint-Exupéry mais cette fois, je me rebelle. Je ne veux pas
me contenter de la vue du cœur. J’ai
fait cela durant des années, en m’occupant de mes enfants, de ma famille, des
autres, à travers tous les gestes et regards gratuits d’attention et d’écoute.
Mais j’ai besoin de mes yeux pour vivre, admirer les paysages,
me plonger dans mes livres chéris, continuer à écrire, découvrir d’autres
mondes, d’autres cultures, d’autres histoires, pour deviner d’un seul regard
que quelque chose ne va pas chez ceux que j’aime, pour voir grandir et changer
mes petits enfants, pour guetter sur les visages une humanité à
déchiffrer, pour admirer tant de tableaux, tant de beautés, tant de splendeurs
!
Et puis
très vite surviennent les questions sans réponse, qui passent et repassent
comme de petits refrains têtus dans la tête, s’éloignent un moment, puis
reviennent, lancinants, accélérant les battements du cœur. Pourquoi cela
m’est-il arrivé ? Que n’ai-je pas vu ? Qu’ai-je refusé de voir ?
A côté de quoi suis-je passée, consciemment, ou non ? Les questions se
succèdent, au pas de course, au pas de folie. J’en perds le souffle. J’ai le
sentiment qu’il me faut découvrir le pourquoi du comment si je veux m’en
sortir. La fameuse clé que je ne possède pas et qui m’oblige à patienter (piétiner ?) devant une porte
close. La maladie sera-t-elle l’occasion d’une prise de
conscience salutaire ? D’une façon nouvelle d’appréhender la
vie? Est-ce là son sens profond ?
Ou au contraire m’engloutira-t-elle dans un puits sans fond, sans espoir et
dépourvu de sens ?
C’est étrange comme parfois, il nous faut
recevoir un coup de semonce pour réaliser qu’il est temps, de réorienter sa
vie, de réfléchir à l’important, à l’essentiel. Ce n’est pas la première fois
que ça m’arrive. Des problèmes de santé, j’en ai eu, comme tout le monde, qui
me sapaient l’énergie et le moral dont j’avais tant besoin à pour élever mes
cinq enfants. Chaque fois, ce fut un moment de prise de conscience, le moment
des bonnes résolutions tenues
vaillamment, avant de retrouver mes sillons de confort, qui n’ont rien à voir
avec ceux de la sérénité, de la plénitude authentique…
Ces questions et réflexions bien sûr ne sont pas des questions exclusivement réservées à la personne qui brutalement a été touchée par l'artérite temporale (maladie de Horton)
Tout le monde, même en dehors de la maladie, se pose tôt ou tard ce genre de questions existentielles et aura grand profit à lire cet ouvrage (ce n'est pas moi qui le dit, mais les lecteurs qui l'ont déjà découvert)
Evidemment ce ne sont pas des réflexions de bronzette, à mener sur une plage, à moitié nu, au soleil ou dans l'eau (quoique... pourquoi pas...?