Je reprends petit à petit le témoignage que j'ai à coeur d'écrire sur l'aventure de la maladie auto immune qui a débuté en août 2011... bientôt deux ans... déjà!
Ce n'est pas facile: ai-je assez pris distance avec mon vécu alors que je suis encore dans le traitement, pour longtemps encore ?
Ecrire sans avoir le nez dans le guidon, pour garder un point de vue plus large, dédramatisé, réfléchi, oserais-je dire serein?
Mais rester assez investie dans mon récit pour ne pas écrire des mots sans âme, détachés de mes ressentis...
Pourquoi témoigner?
Pour moi d’abord. Dès le premier jour d’hospitalisation, dans le plus intense de ma déconfiture, au plus fort du tsunami qui me tombait dessus, au travers des larmes qui m’inondaient le cœur, j’ai écrit.
J’ai écrit comme une automate, d’une écriture quasi illisible dans un carnet sans forme, empoigné au hasard au moment de rassembler quelques effets, j’ai écrit au jour le jour, pour tenir bon, pour éponger le trop plein, pour garder contact avec la réalité.
Pendant plusieurs mois, au fil des alertes et des hospitalisations, je suis restée au plus près de ma douleur, tant physique que morale, j’étais dans le terre à terre de ce qui m’arrivait, c'était la seule façon pour moi de m’en sortir…
Puis insensiblement j’ai pris distance : que faire avec ce paquet de… j’allais écrire, de linge sale ? Il y avait là une trace de ma lutte quotidienne, j’en racontais toutes les péripéties, mais cela n’allait pas plus loin, je portais peu de réflexions sur cette étrange aventure.
Alors j’ai contemplé le champ de mon combat, j’ai tenté de sortir de la gadoue, j’ai respiré plus largement pour retrouver mon souffle. Halètements, respirations, comme une femme sur le point d’accoucher. Tout cela m’occupait à plein temps, pas trop l’occasion d’aller plus loin, de dépasser le cap des simples anecdotes du quotidien.
Mais je savais que raconter « ça », ne serait qu’un début. Il me faudrait un jour franchir la barrière du confortable dans la souffrance : car oui, il y a là du confortable quand raconter les choses, au plus serré de leur réalité, risque de devenir répétitif, de me plonger dans la monotonie déprimante d'un quotidien douloureux. Aller plus loin, oser les questions, chercher des réponses, tenter de voir plus clair si possible, c’était risquer gros, je le sentais… c’est ma vie ni plus ni moins qui pouvait basculer, et non plus seulement ma santé.
Témoigner aussi pour les autres…
On a tous à apprendre de la maladie, celle qui sort de l’ordinaire: on se croit hors d’atteinte. Autrefois, malgré divers problèmes physiques, parfois prégnants, ce fut mon cas quand je regardais avec compassion des gens autour de moi, gravement malades, en bénissant je ne sais quel ciel que ce genre de tuile ne m’était pas arrivée et, je l’espérais, ne me tomberait jamais sur le crâne. Ouf ! ça n’arrive qu’aux autres, c’est bien connu…
Il me fallait témoigner aussi pour expliquer un peu la maladie qui m’a atteinte et qui se soigne obligatoirement sur le long terme. Et qui devra être surveillée pour toujours. Expliquer que la perte de l’œil ou le spectre de la possible cécité n’est que la pointe de l’iceberg et que le combat se situe dans d’autres profondeurs…
Il y a beaucoup de récits de femmes touchées par le cancer du sein. Celles qui à leur tour sont atteintes disent avoir besoin de lire des témoignages à ce sujet. Elles y retrouvent leur lutte, leurs peurs, mais aussi leurs victoires, leur chemin pas à pas, courageux et déterminé. C’est un vrai réconfort, on reçoit des autres, parfois de parfaites inconnues, une sorte d’itinéraire de route, dans lequel on peut s’engager, puisque d’autres l’ont fait avant ! Route difficile, mais qui ne sera pas forcément négative, bien au contraire. Tant de gens disent avoir appris beaucoup de leur épisode maladie. Et qu'ils ne sont plus le/la même…
Pour moi il en a été un peu différemment : quand j’ai voulu à mon tour fréquenter un forum, lire un récit qui m’en apprendrait plus sur la maladie de Horton, j’ai rencontré le vide. Oui bien sûr, des sites expliquaient en long et en large l’aspect médical, mais aucune personne en chair et en os qui la vivait. Cela m’aurait été utile, je l’ai regretté.
De même, dans ma clinique bien-aimée, il y a un Espace Bien-Etre pour les malades du cancer, sponsorisé, où des soins esthétiques, diététiques, conseils divers sont dispensés gratuitement pour aider ces femmes à franchir le cap. Je m'y suis adressée, j'ai dit que j'étais patiente dans cette clinique, j'ai parlé de la maladie au long cours dont je souffrais, j'ai demandé si je pouvais moi aussi bénéficier de ces massages et autres bonnes choses qui font tant de bien. Et bien ce fut non! Je n'entrais pas dans "les normes" question prise en charge. OK je comprends bien, n'empêche j'étais triste, je me suis sentie seule!
De là ma décision de reprendre et de revoir les mots de mon précieux cahier du début, de relire soigneusement les pages et les pages que j'ai écrites par la suite... d’en éliminer beaucoup, d’en ajouter d’autres, d'en forger un récit.
De là mon désir de raconter une histoire qui est la mienne, mais dans laquelle d’autres pourront se reconnaître…