Deux
enfants sur le bord d’une route. Il n’y a personne sur cette route, juste des
poteaux électriques à l’ancienne. Ce doit être une route de campagne : on
ne voit que des arbres, aucune maison à l’horizon. Il fait beau, les arbres
projettent leur ombre sur la route. Il fait chaud, les deux enfants sont
habillés légèrement.
Je
suis là immobile aux côtés de mon petit frère. Je baisse la tête vers le petit
chien que je tiens en laisse. Je ne regarde pas le ou la photographe. Mon frère
non plus d’ailleurs. Est-ce que je souris ? Je ne sais pas, la moue que je
fais pourrait passer pour un sourire. Ou alors je plisse les yeux à cause du
soleil. Ou peut-être que je fais une grimace avant de pleurer. Non je ne pense
pas que je suis sur le point de pleurer, l’attitude de mon corps est trop calme
pour ça.
Le visage de mon frère au contraire est
parfaitement lisse, sans plissage des yeux, sans grimace ou sourire.
Je
suis là, debout aux côtés de mon frère, parfaitement figée, je me suis
immobilisée pour obéir sans doute à celui ou celle qui prend la photo. Ni moi,
ni mon petit frère n’avons été saisis dans un mouvement quelconque. Instant
suspendu, le temps s’est arrêté. Est-ce que j’attends la permission de pouvoir
retourner jouer, bouger, courir ? Ou cela me semble-t-il normal d’être
immobilisée comme ça ? Même le chien que je tiens est statique comme s’il
était un jouet en bois que l’on tire après soi.
Elle est belle et semble forte cette petite
fille, elle semble bien moins fragile que son frère.
Elle a les deux pieds sur
terre, elle est plantée avec détermination sur la route de sa vie. A cinq ans,
elle a tout en elle pour vivre une vie ouverte, épanouie…Et ça me fend le cœur,
car ma vie de fillette, puis de jeune fille ne fut ni ouverte ni
épanouie. Les choses ont si vite tourné "à l'envers".
Alors j’ai envie de la prendre dans mes bras,
de la serrer fort, de l’empoigner pour l’emmener loin, ailleurs… et si elle
proteste je lui dirai que son enfance sera solitaire, où elle n’existera
ni pour elle, ni pour personne, peut-être juste pour ce petit garçon qui se
tient à côté d’elle, son presque jumeau. Mais des deux, c’est elle qui sera la forte, qui le
soutiendra, d’ailleurs c’est simple, cela se voit, elle est grande déjà, elle a
du courage, elle saura déjouer le piège de cette enfance au vinaigre.