dimanche 11 juillet 2010

La cuillère-de-quand-j'étais-petite

C'était au temps où mes enfants étaient adolescents. Un repas en famille. Une famille très ordinaire, avec ses soucis, ses larmes, ses disputes. Mais aussi ses fou-rires, son animation, l'écoute des uns et des autres. Et puis de l'amour. De l'amour, oui..

La table était joyeuse ce jour-là. Comme souvent. Sauf quand il y avait de l'irritation dans l'air. Ce qui arrivait bien sûr. Table bruyante et animée aussi: nous étions  nombreux, au minimum sept, mais parfois davantage. Rires, taquineries, tout le monde qui parle à la fois. La vie quoi...

Un soir, au moment du dessert, pendant que l'un des enfants débarrassait, j'ai apporté assiettes et petites cuillères. Je ne sais plus ce que j'avais programmé au menu pour ce jour là, mais on avait besoin de petites cuillères. Sans y prêter attention, j'ai donné à l'un des enfants ma cuillère-de-quand-j'étais-petite: c'était une cuillère un peu plus grande que la normale, en argent fatigué, avec mon prénom gravé sur le manche. D'un geste rapide, l'enfant qui l'avait reçue s'en débarrassa aussitôt en la refilant à son voisin... qui s'empressa de faire la même chose. Cette cuillère, personne n'en voulait... personne n'en a jamais voulu d'ailleurs. La cuillère n'avait pas bonne mine, faut dire...

J'ai regardé amusée l'objet  voyager de place place, jusqu'à m'arriver en retour. Moi non plus, je n'aimais pas cette cuillère, parce que... peu importe, je ne l'aimais pas et voilà tout. D'ailleurs je ne sais pas pourquoi je l'avais ramenée de mon enfance. Avec elle, les desserts n'avaient pas bon gout, elle n'était même pas jolie et ce n'était même pas un souvenir auquel je tenais... Enfin, je ne sais pas, peut-être un peu quand même.

Donc j'ai repris la cuillère en question et je suis allée la ranger tout au fond du tiroir des petites cuillères à dessert, mais en faisant la moue, en pleurnichant quelque chose comme: "oh! ma jolie petite cuillère de quand j'étais petite... personne n'aime ma petite cuillère de quand j'étais petite, personne ne veut ma jolie petite cuillère de quand j'étais petite... " 
Je reniflais à grand bruit tout en plongeant ma figure dans un mouchoir... 

Personne n'était dupe et toute la famille plaisantait en me taquinant...

Soudain la dernière de mes filles, toute petite encore à ce moment, cinq ans peut-être,  s'est levée de table sans un mot, est allée vers le tiroir des couverts, a cherché la cuillère en question pendant un moment, l'a empoignée triomphalement puis est revenue à sa place et l'a déposée sur son assiette:
"Moi j'aime ta cuillère de quand t'étais petite, maman... et je vais manger le dessert avec elle..."..

Merveilleux geste d'amour pour moi, dont je me souviens encore...



21 commentaires:

  1. Il y a des enfants comme ça, qui sentent le geste qui va nous aller droit au coeur, qui le sentent et qui le font car c'est notre coeur qu'ils veulent toucher. J'aime beaucoup ton histoire.

    RépondreSupprimer
  2. Bonjour !
    C'est la première fois que je passe ici, bien qu'habituée à pas mal de tes amies blogueuse (j'ai pas dit "blagueuses", mais j'aurai pu !)

    Elle est magnifique, cette histoire. c'est vrai, pourquoi tel enfant, et pas tel autre va remarquer cette petite moue que tu faisais, au sujet de cette "simple petite cuiller". Peut être cette enfant là a t elle un quotient émotionnel supérieur aux autres. C'est bien possible. C'est une chance !

    RépondreSupprimer
  3. J'en ai aussi de ces couverts avec mon prénom dessus, tout ce que tu dis est exact et ma fille une fois a ressorti un de ces objets, la mine dégouttée (ils changent de couleur à force de n'être pas utilisés), je les déteste et je les aime à la fois...paradoxal. Je pense que si j'avais voulu, elle aurait mangé avec, mais je ne me voyais pas reproduire avec elle ce type d'obligations...et ce que j'ai ressenti ressemblait alors à du "temps passé", une "page tournée", presque un soulagement d'avoir le droit de les reléguer, comme toi, tout au fond du tiroir.
    Cela dit, le geste d'amour de ta petite puce a du te chavirer le coeur, je comprends, cela ressemble à un acte de protection, c'est doux et si bon.

    RépondreSupprimer
  4. Quelle belle histoire! Est-ce que cette enfant grande maintenant a gardé son empathie? J'avais lu dans "L'intelligence émotionnelle" de Daniel Goleman que chez certaines personnes c'était inné.

    RépondreSupprimer
  5. @à vous quatre...
    Il s'agit de ma fille adoptive, c'est la plus jeune
    J'avais raconté longuement raconté son histoire sur mon autre blog http://coumarine.canalblog.com
    Oui elle est très sensible, mais pas plus ni moins que mes autres enfants. Mais elle avait pris mes "larmes" au sérieux tandis que les autres savaient à quoi s'en tenir
    Mais son geste innocent m'avait fort touchée...

    RépondreSupprimer
  6. oui, l'histoire est très touchante!
    et en même temps la petite qui a ce joli geste montre aussi son besoin d'amour à elle

    RépondreSupprimer
  7. La mienne je la garde précieusement, je la donnerai peut-être à Eugénie...

    RépondreSupprimer
  8. @Adrienne, oui tu as bien raison...
    Mais, n'a-t-on pas tout besoin d'être aimés?
    Et même adulte, ne nous arrive-t-il pas de d'avoir des gestes vers l'autre dans le désir inconscient d'être aimé en retour?

    @ah! mab... ça ne m'étonne pas...!

    RépondreSupprimer
  9. L'amour inconditionnel d'un enfant, c'est peut-être ce que je trouve de plus émouvant. Pas de filtres ni de longues et savantes réflexions. Juste une pépite d'amour pur que l'on garde en soi toute sa vie. Précieuse richesse. Cette petite cuillère en argent qui manifestement te renvoie à une histoire moins joyeuse, a été le vecteur d'un très beau geste. Peut-être était-ce là son chemin (lol).

    RépondreSupprimer
  10. Bjr Coumarine. Rien à rajouter à cette merveilleuse histoire d'amour, sauf qu'elle m'a touchée au point que j'ai vraiment eu la larme à l'oeil comme si le geste de cet enfant m'était également destiné. Très beau!

    RépondreSupprimer
  11. c'est plutôt une réponse que tu fais en commentaire que je retiens :
    "Et même adulte, ne nous arrive-t-il pas de d'avoir des gestes vers l'autre dans le désir inconscient d'être aimé en retour?"

    désir inconscient ?
    pour ma part, je ressens mon désir d'être aimé très conscient...et même particulièrement légitime. Finalement c'est lui qui me permet de m'abandonner à me laisser recevoir de l'amour.

    Cela dit tu n'as pas tort...!
    Lorsque je regarde ce qu'il en fut de mes "premières amours", (môdieu !! que c'est loin tout ça...!!!), j'étais en effet très inconscient de l'extraordinaire ampleur, pour ne pas dire de la terrible avidité, que j'avais d'être aimé enfin !! Plus que tout ! Par-dessus tout !
    et lorsque je disais à l'autre : je t'aime !
    Il fallait plutôt comprendre : aime-moi !

    c'est bien pour ça qu'au final, ce genre « d'amour »... ça foire !
    :o))

    peut-être qu'il faut être "vieux" pour enfin savoir aimer... !!
    Oh yé !

    RépondreSupprimer
  12. Dans l'esprit opposé, ma mère avait gardé "son Jean-Pierre", un bébé de porcelaine. Elle l'adorait, et pour autant que je sache elle n'avait pas eu beaucoup de jouets, et il devait lui venir de sa grand-mère dont elle était la préférée et qu'elle aimait beaucoup.

    Mon frère, deux ans de moins que moi, était un enfant coléreux, furieux, souvent gnan-gnan, qui avait un besoin désespéré d'attention et ne supportait pas le mot "non". Et un jour qu'elle lui a dit non, il a sauté à pieds joints sur Jean-Pierre pour l'assassiner. Je me souviens que ma mère pleurait, et il l'avait très bien deviné...

    RépondreSupprimer
  13. Bon… et si on remplaçait "cuillère" par "louche" ?… mais "La-louche-de-quand-j'étais-petite", ça va pas vraiment… paradoxalement, il n'y a pas beaucoup d'amour derrière une louche…

    RépondreSupprimer
  14. Finalement, je suis sûre que cette "petite cuillère de quand tu étais petite", grâce au geste de ta fille, elle t'est enfin devenue agréablement précieuse.

    RépondreSupprimer
  15. Des moments de grâce, où ces enfants spontanément posent les gestes justes ou disent des mots justes. Et il y en a d'autres où ils peuvent être de vrais démons. Ni ange... ni diable !
    (Moi aussi, j'ai encore la cuiller de mon enfance !)

    RépondreSupprimer
  16. @Incertaine... vraiment si heureuse de te revoir ici. Tu m'as manqué!
    Une pépite d'amour, oui c'est vraiment ça et ce fut du bonheur pour moi...

    @Josiane... je suis touchée que cette petite histoire t'ait touchée... merci de le dire!

    @Alain, c'est si difficile d'aimer vraiment l'autre, et non soi au travers de l'autre!
    Il faut s'aimer soi-même assez pour ne pas se transformer en mendiant d'amour
    Mais ça tu le sais aussi bien... tu en as déjà souvent parlé sur ton blog...

    RépondreSupprimer
  17. @Edmée, ah oui! c'est une histoire terrible que tu racontes là!
    Mince un enfant peut avoir tant de cruauté gratuite en lui: ça me fait froid dans le dos...

    @Vertumne...coucou! (contente...)
    J'aime ce que tu dis... non derrière la louche, il n'y aurait pas eu autant d'amour, tu dis vrai!

    @Fabeli...pas vraiment, non pas vraiment. Je l'ai toujours, mais elle est terne et abîmée (comme mon enfance finalement oups ;-(

    @Naline, ni ange ni démon, le pire et le meilleur en eux...comme en chacun d'entre nous après tout ;-))

    RépondreSupprimer
  18. Comme ton texte est mimi, Coume. Tu pourrais presque le transformer en conte. Passe une belle journée, un peu plus respirable ! Smacks tout plein.

    RépondreSupprimer
  19. @Filo... merci tout plein à toi... bises aussi...

    RépondreSupprimer
  20. Moi, ce que je retiens de ce billet, c'est surtout ce que tu ne racontes pas, l'histoire de la cuillière-de-quand-tu-étais-petite.

    RépondreSupprimer
  21. très touchante ton histoire de petite cuillère et les souvenirs me reviennent aussi ; c'était le cadeau de baptême souvent du parrain ou de la marraine, je n'aimais pas le goût de l'argent dégagé et je ne parle pas de la timbale en argent aussi, beurk ! (timbale, chez nous c'est ce qui remplaçait le verre, je précise au cas où cela ne porterait pas le même nom en Belgique). Mes enfants en ont eu en cadeau aussi mais le tout est resté dans la boite cadeau...

    beau geste de ta fille, c'est très attendrissant.

    RépondreSupprimer

un petit mot à dire?