Imaginons...
Une table et une vingtaine de personnes rassemblées autour d'elle
Ces gens sont rassemblés pour une réunion.
Quelle genre de réunion? (vous voyez, je m'interroge pour rendre mon histoire plausible)
Une réunion de comité de quartier par exemple, ou une réunion de co-propriétaires.
Les gens sont attablés et devant eux, étalage de papiers, de documents, chacun son verre et sa petite bouteille d'eau, son stylo, son portable mis sur vibreur.
Lecture de l'ordre du jour: le meneur de jeu signale qu'il y a beaucoup de points à traiter, qu'il faudra être attentif à ne pas dépasser le temps pour chaque point important. Mais voyons... chaque point est important, capital même selon les personnes, toutes bien décidées à faire triompher la bonne solution, c'est-à-dire la leur!
On aborde le premier sujet: hmmm, vingt personnes et... undeuxtroisquatre... quinze avis différents!
La discussion démarre prudemment, chacun ayant droit à son temps de parole...
Mais très vite on piétine, on piaffe, on a des gestes de recul, de rejet, on n'attend qu'une chose, c'est de pouvoir intervenir.
Parce que c'est évident, se dit chacun, personne ne comprend rien à rien au problème, sauf moi!
Sont tous à côté de la plaque! Jamais vu ça!
La parole circule de bouche en bouche, de plus en plus rapide, de plus en plus hachée, et arrive l'inéluctable: les bouches toutes à la fois se mettent à dire leur vérité, de plus en plus fort, avec des gesticulations bruyantes. Chacun crie plus fort que son voisin, chacun veut se faire entendre. Même les deux ou trois petites dames à la voix fluette, c'est fou comme leurs cris deviennent perçants!
Vous voyez la scène? Tout le monde parle en même temps, avec force gestes, doigts pointés, bras écartés, corps penchés en avant, coudes sur la table. Le ton monte, devient cacophonie...
Plus personne n'écoute personne...
Nous sommes à l'ère de la communication...!
Soudain, petit coup de théâtre: (comme dans une de mes nouvelles, j'aime ce genre d'évènement qui d'un seul coup fait tout basculer) panne de courant et la salle est plongée dans le noir.
Observons ce qui se passe...
C'est curieux comme l'obscurité inattendue provoque le silence: plus une seule parole autour de cette table, chacun est interdit, gestes suspendus, sur le qui vive, se demande ce qui se passe, le silence pèse, un silence interrogateur, peut-être même un silence inquiet. On se retient même de respirer je crois!
Cela dure maximum vingt secondes (oui car au delà il y aurait du remue ménage, les chaises auraient raclé le sol à la recherche d'une solution, des mots brefs auraient été échangés, on aurait entendu le bruit d'une porte qui s'ouvre...)
Donc vingt secondes, pas plus! Vingt secondes de silence pesant après la cacophonie du tout-le-monde-parle-en-même-temps- veut-avoir-raison-et-crie-plus-fort-que-son-voisin!
Après ces vingt secondes, et aussi soudainement...lumière!
Autour de la table, toujours les mêmes gens, un peu hébétés, tous silencieux à se regarder, avec dans l'oreille, demeurant comme un acouphène, le bruit persistant de l'insupportable cacophonie de l'incompréhension.
La lumière, les gens, et le silence...
Les gens qui se regardent, les uns après les autres, qui s'observent d'abord un peu méfiants, puis se détendent après quelques secondes. Puis repenchent la tête sur leur dossier. Puis le meneur du jeu reprend la parole en tentant de recadrer les choses (et les gens surtout!)...
Ça va durer combien de temps, croyez-vous, avant que la cacophonie ne renaisse avec les désaccords et le besoin d'avoir raison?