lundi 8 juin 2020

Tu penses trop

"Tu penses trop" disait la mère quand la fillette courait vers elle, après avoir vu un insecte mort et qu'elle lui demandait: "c'est quoi mourir maman... dis-moi je voudrais savoir est ce qu'on vit encore quand on est mort... et il est où l'oncle Maurice... ça doit faire beaucoup de morts dans le paradis depuis le temps qu'il y a des morts... et est-ce qu'on s'ennuie pas enfermés comme ça dans une boite... et tu me mettras ma robe rouge dis maman celle que j'aime tant... ma robe coquelicots maman, mamaaaan ... tu m'entends? réponds moi... "

"Tu penses trop" disait le père quand elle pontait du doigt des titres sur la journal qui toujours se dressait en obstacle entre ce père lecteur de journaux largement déployés et elle qui tentait de squatter son attention... "tu sauras plus tard laisse-moi, tu me déranges, va jouer"
Elle devait toujours aller jouer quand ses paroles dérangeaient les adultes.

Alors elle s'inventa une autre histoire, toute en boucles et en volutes, en corps à corps avec l'ivresse, ou avec le vertige.
Quitte ou double. Tombera, tombera pas... sur le fil qui frissonnait à cause des interdits qu'elle redoutait.
Des jours, des mois, des années de silence. La parole s'est calfeutrée sous des habits de parade bourgeoise.

Trop de questions. Mieux valait se taire.

 de Nicole Versailles: L'enfant à l endroit, l'enfant à l'envers, 2008 


17 commentaires:

  1. Oui, lorsque l'enfant pose des questions, car un enfant se pose beaucoup de questions, et que l'on ne lui répond pas, il s'invente des histoires, il s'invente un monde à lui, c'est peut-être comme cela que naissent les rêveurs ?...
    Belle fin de journée à toi, Coumarine.
    Je t'embrasse.

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    1. l'enfant pose parfois des questions bien embarrassantes pour l'adulte qui les reçoit, alors quand on les ignore systématiquement, il apprend à se taire
      Merci Françoise, je t'embrasse aussi

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  2. Toujours agréable de lire un extrait de ton excellent livre.
    Cela semble tellement lointain cette époque où l'enfant n'était pas vraiment une personne, et donc il fallait attendre « plus tard » ou jamais… pour obtenir des réponses à des questions assez essentielles.
    Sauf que le « plus tard » ne tarda pas à devenir un trop tard ! On était parti ailleurs depuis longtemps chercher des réponses que la plupart du temps on s'inventait, faute de mieux.

    Je n'ai connu qu'un seul de mes grands-parents. Mon grand-père paternel. Je n'ai aucun souvenir d'avoir une quelconque discussion avec lui. Et pourtant on lui rendait visite chaque semaine. Mais ça discuté « entre grands »… je me demande même si cet homme savait qu'il avait un petit fils !
    Je lui ai pardonné cependant… car il faisait d'excellent macarons !! Dont il a emmené la recette dans la tombe. Et il m'en donnait en cachette…

    Tous ces taiseux qui avaient connu la guerre dont ils étaient revenus dans un silence infranchissable. Quand on sait ce qu'ils ont vécu, Verdun etc. et ont dû remettre ça en 39/45.
    J'ai l'impression aujourd'hui qu'on évoque des faits d'il y a trois ou quatre siècles !
    Les temps changent… heureusement !

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    1. oui! les temps ont bien changé; certains parents sont "dialoguants" et parlent à leurs enfants dès le début. Ainsi ont fait mes filles avec leurs enfants
      Mes grands parents je ne les ai pas connus, soit parce qu'ils étaient morts, soit parce qu'ils ne se sont pas du tout intéressés à moi, sinon pour me faire des reproches...

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  3. Ce silence qu'on impose aux enfants, un peu moins aujourd'hui, et c'est tant mieux. Reste qu'il y a encore loin de la coupe aux lèvres, du refus d'entendre à l'écoute bienveillante. Trop souvent encore on constate que les parents perdent de vue leur rôle et leur fonction entre le dirigisme et le laxisme. Alors qu'il ne s'agit que de bienveillance attentive et d'absence de jugement. C'est encore trop rare. Je sais aujourd'hui qu'il ne faut pas culpabiliser de ne pas répondre aux attentes de ses parents. Que leur fonction ne leur donne aucun droit de regard sur votre vie.
    Après, pardonner, ne pas pardonner, peu importe. L'essentiel est de se sentir rendu à soi-même, libéré de toute pression, de tout devoir contraignant... libre de vivre sa vie telle qu'on souhaite la vivre.
    Je t'embrasse.

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    1. tu dis là chère Baladine des choses bien importantes, par ex par rapport au pardon.
      J'ai mis du temps à pardonner à mes parents, j'y suis arrivée quand j'ai compris que malgré tout, ils avaient fait de leur mieux, compte tenu de leur histoire, de leur santé…

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  4. Il faut toujours répondre aux questions des enfants ! Même si...
    https://instantanes481631779.wordpress.com/2008/03/07/metaphysique/

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  5. et bien voilà! des questions hautement importantes... et tu y répondais?

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    1. Bien entendu ! Et ça, ce n'étaient que les questions de leur prime jeunesse, j'ai connu encore plus exaltant après :-)

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    2. ces enfants savaient que tu leur répondrait, ils avaient confiance, et surtout pour les questions encore plus "exaltantes" d'après!

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    3. scuse: que tu leur répondraiS!

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  6. Cette fillette que tu étais, je l'aime tendrement... et je suis sûre que toi aussi.
    Et j'aime Coumarine bien sûr !
    Bisoudoux

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    1. merci ma chère Aline, c'est gentil ce que tu écris là!
      Bisoudoux aussi

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  7. Petite, on ne me répondait pas non plus. Maintenant, les choses ont changé. Heureusement.
    Bien à vous.

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    1. oui les temps ont changé: on vit une époque de davantage de dialogue et d'écoute
      Merci Mme Chapeau ;-)

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  8. Un monde peut parfois séparer les enfants des adultes…...Dommage! Il y a tant à apprendre du monde des enfants, un monde d'innocence et plein de fraîcheur !

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    1. oui tu dis bien: un monde peut séparer adultes et enfants...on en arrive à vivre ensemble sans plus se parler, en tout cas des choses importantes!
      merci Daniel

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