lundi 3 novembre 2014

Lettre à mon père

mon cher Papa,

voilà presque vingt ans que tu nous as quittés. En quelques heures tu étais parti!

Tu as laissé maman seule pour affronter les dernières années de sa vie. Elle était persuadée qu'elle ne te survivrait pas: elle a vécu presque dix ans encore...
Quand je venais ainsi chez vous, semaine après semaine pour vous aider à gérer le quotidien, veiller à ce que vous ayez tout ce qu'il vous fallait, et papoter un peu de la pluie et du beau temps, je ne pensais pas vraiment qu'un jour je te perdrais, qu'un jour je vous perdrais tous les deux!
Cela me convenait en somme, j’étais encore toujours la fille de quelqu'un, votre fille. Je n'étais pas si vieille que ça puisque il y avait du monde au dessus de moi. J'étais toujours l'enfant, vous étiez les parents...
Quand tu es parti sans trop prévenir, j'ai assumé vaillamment mon rôle de fille-qui-a-encore-sa-mère, mais très vite j'ai dû la prendre en charge, veiller sur elle, la consoler de son chagrin de te perdre.
Je n'avais pas le temps ni le droit au chagrin, d'ailleurs en avais-je? De toutes façons je ne l'ai verbalisé nulle part, pas le temps, avec mes cinq enfants et ma mère devenue comme une enfant à son tour!

Je me souviens juste qu'un de mes enfants  m'a dit simplement en revenant des funérailles: maman, te voilà orpheline. J'ai  accusé le coup sans réagir: oui je suis orpheline, et alors? Qu'est-ce que cela va changer pour moi?

Cher Papa, j'ai veillé sur ta femme, comme tu me m'as demandé. Cela n'a pas été tous les jours facile. Elle a toujours été une personne difficile à vivre. Elle parlait de son chagrin, évoquait des souvenirs dans lesquels je n'avais aucune place. Elle ne s'inquiétait pas vraiment de moi, ni de savoir comment "allait" mon chagrin!

En ces jours particuliers  où l'on pense aux morts, je pense à toi cher papa
Je regrette qu'on n'ait pas pris le temps ni la peine de construire une relation tissée de confiance et d'ouverture. Tu avais certainement des choses à me dire, des souvenirs à me partager. J'aurais voulu apprendre de toi un peu de la vie, comment tu la voyais. Tu étais un homme peu bavard, mais moi, je t'interrogeais peu aussi. Je croyais que je devais rester discrète, ne pas t'embêter avec "tout ça". Quelle erreur!

Aujourd'hui,  je me tiens à mon tour au seuil de la vieillesse, aurais-tu pu croire cela?
Me reconnaîtrais-tu avec mes cheveux gris, mes rides?
Comment aurais-tu réagi à mon problème de santé? 
Aurais-tu lu mes livres, publiés bien après ta mort, aurais-tu été fière de moi, ta fille?

Ce soir j'aurais envie que tu me serres dans tes bras de papa

Ta fille, Coumarine

26 commentaires:

  1. leur dire, leur parler , se questionner , regretter ...
    Dans ce billet , tu te replonges dans ton passé tout en ayant ton regard du présent
    besoin de tendresse , besoin de,protection , d'avoir l'assurance qu'un père reste celui qui prend la main
    Porter le deuil et la souffrance de l'autre sans s'autoriser à évoquer sa propre peine , combien d'enfants ont vécu cela ?
    Coumarine , tu as encore tant de choses à leur dire , aux tiens ...

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    1. ça fait bizarre quand je réalise que je suis au dessus de la pyramide. Je me sens encore si "petite"!

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  2. Il te reconnaîtrait, bien sûr, et te trouverais encore si jeune, si inexpérimentée, tout en aimant sans doute aussi partager des moments d'adulte à adulte sans parenté avec toi... Il te dirait peut-être des aspects de ta mère pour appuyer ce que tu penses mais le tempérer... Il te dirait de ne pas avoir peur, puisqu'il est là, qu'ils sont là. Et sans doute aussi que ta mère, tu la reconnaîtrais sans effort: il aurait un clin d'oeil en disant qu'elle est restée fidèle à elle-même: difficile à vivre :)

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  3. Votre billet m'a fait pleurer mais ce sont de larmes bienfaisantes...
    Je suis devenue une vieille petite fille ridée aux cheveux gris et qui parce qu'elle est malade aimerait se faire bercer encore ...
    Merci Coumarine !!!
    Anne

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  4. tu dis très bien mon ressenti d'orpheline de son papa

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  5. C'est toujours curieux de genre de mots, je n'ai jamais su si j'avais eu trop ou pas assez de père, bâtie sur des sables mouvants déjà enfant je savais que la figure du père morte, c'est là que je commencerai à vivre, oui, c'est curieux ce genre de mots, je le savais mais j'ignorais à quel point on est exclu, anormal à quel point on ne vit pas finalement parce qu'on ne peut pas vivre et ressentir comme presque tout le monde.

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  6. Ton billet m'a mis les larmes aux yeux... Je repensais à ton livre "l'enfant à l'endroit...." C'est comme un prolongement, une veine (au sens de fil, filon) retrouvée.

    J'ignore (nous ignorons tous de fait...) si ceux qui sont partis ont une vie après la mort, comme on le pense dans de très nombreuses croyances et religions. Mais je suis certain que nous, nous avons une vie avec eux après leur mort. Cette lettre en témoigne. Ils ont laissé en nous leur trace. Elle est là. Il ne s'agit pas que de souvenirs...

    Je vis cela, en particulier envers (avec?) mon père. Parfois il y a des mots, comme ta lettre, parfois c'est une présence. Toute simple, mais elle EST.

    Merci de nous avoir partagé cette belle lettre.

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    1. j'ai tellement peu pensé à mon père depuis qu'il est parti!
      Mais ces derniers temps, il est souvent venu à l'avant-plan de mes souvenirs. Je ne sais pas trop pourquoi. J' pense avec des larmes intérieures. Il m'aura fallu tout ce temps pour commencer à le pleurer...

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  7. Ah! C'est si difficile de commenter... Mais ce qui me frappe très très fort, c'est comme le dit si bien Alain X, "... Mais je suis certain que nous, nous avons une vie avec eux après leur mort. Cette lettre en témoigne. Ils ont laissé en nous leur trace. Elle est là. Il ne s'agit pas que de souvenirs... (...) "

    Ecrire est peut-être un des moyens les plus pacifiants, ou dans certains cas "réparateurs" ? Je ne sais pas très bien comment dire, sauf qu'évidemment, quand on a perdu un parent, on "ressent" ce que tu écris.

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  8. Coum, nous avons vécu un peu le même parcours. Papa est parti en premier, Maman a vécu jusqu'en sept 2O13, à 1O3 ans.
    Je suis devenue orpheline de père et me suis retrouvée à devenir progressivement la mère de ma maman. Comme la tienne, la mienne n'a jamais pensé à me con soler de mon propre chagrin... Je voulais te dire combien je partage ta souffrance. Je t'embrasse Amanda

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  9. Comme c'est vrai, ça, Coumarine : on n'a jamais assez parlé.
    Je n'aurais jamais pu écrire cette lettre car mon père, pardonne-moi cette invention, était "imparlable", c'était un juge, pas un père.
    En revanche, la dernière fois que ma mère a voulu me parler, j'avais vingt ans! Hélas, ce n'est pas l'âge où l'on sait écouter. Je ne pensais qu'à la vie qui m'attendait, dehors. Elle est partie deux semaines plus tard des suites d'une opération banale mal maîtrisée. Je me suis reproché toute ma vie ce moment où, la voyant pour la dernière fois, je n'ai pas entendu ce qu'elle avait à me dire.
    Une très belle lettre.

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    1. Mon père n'était pas très "parlable" non plus.Il ne racontais que peu de choses de lui
      Pourquoi cette pudeur?elle empêche de se rapprocher en vérité

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  10. Quelles que soient les relations qu'on a eu avec ses parents, on regrette toujours de ne pas avoir assez parlé avec eux, et on s'aperçoit quand ils ne sont plus là, qu'on avait encore tant à dire, tant à écouter...
    Ton texte est très émouvant et ne peut que toucher chacun d'entre nous.

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  11. Avec émotion et tendresse...
    Je te serre dans mes bras de "petite, moyenne, grande" fille.

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  12. Bonsoir tout le monde
    MERCI pour vos commentaires, pour vos mots qui rejoignent les miens
    J'ai moi aussi de l'émotion à vous lire, et je ne me sens pas le courage de répondre personnellement à chacun d'une vous
    Un baiser tendresse tout spécial pour Ciane, ma petite, moyenne, grande fille (private joke entre nous ;-))

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  13. bonsoir Coumarine,

    à vous lire, j'en ai les larmes aux yeux. j'ai de la chance d'avoir encore mes deux parents. chaque fois que je vois mon père, je suis heureuse de l'entendre me parler de son enfance, oh combien difficile (abandonné par sa maman avec son frère et ses soeurs ,receuilli par la grand-mère paternelle, une maratre avec un père se laissant mourir...) mais présentant quelques éclaircies auxquelles il s'est accroché... j'aime sentir sa force, et la fierté qu'il doit probablement éprouvé à s'en être sorti. je garde en moi quelques souvenirs magiques complices avec ce papa. je n'ai pas manqué cette année de lui témoigner ma gratitude vis à vis de ce qu'il m'a transmis. je crois que s'il devait partir, même si je ne sais pas tout, je serai en paix, certaine que son emprunte bienveillante ne partira jamais. par contre, c'est avec ma maman que j'ai du mal à communiquer... d'autres choses que de la pluie et du beau temps. comme si nous ne parvenions pas à nous positionner sur la même longueur d'onde...
    et si vous voulez ce soir, je veux bien vous serrer tout fort dans mes bras.

    merci.

    ellinda

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  14. Ah ma chère Coum...
    Je ne savais pas que tu étais revenue et je ne sais que dire après tous les mots des autres commentateurs. Sinon que j'ai senti mes larmes couler, tant ce que tu écris trouve un écho en moi. Tu as raison, quand on a encore ses parents on a " quelqu'un au-dessus" après, c'est une autre affaire, quand ils sont partis.
    Je comprends que l'on ait besoin de croire que la vie ne s'arrête pas comme cela et qu'il y a quelque chose après. Je ne parviens pas à y croire vraiment, mais j'aimerais.
    Ton père aurait été fier de toi, tu peux en être sûre, car tu es une très belle personne, et tu as réussi ta vie humaine, et sensible.

    Je t'embrasse de tout cœur mon Amie

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  15. Une lettre bien émouvante ! Les rapports parents enfants ne sont pas toujours faciles. J'en sais quelque chose !

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  16. Mon père est mort à 68 ans. Me voilà plus vieille que lui . Et pourtant quand il est mort je le trouvais vieux . Il l'était d'ailleurs devenu à cause de ses problèmes de santé.
    Je l'aimais beaucoup j'étais très fière de lui. Et dans un sens je voulais au moins un peu lui ressembler . J'étais fasciné par son intelligence et ses connaissances. Si j'aurais quelque chose à lui reprocher c'est de ne pas m'avoir assez transmis tout ce qu'il savait.
    Belle lettre émouvante que celle que tu as écrit.

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    1. c'est drôle de se dire qu'on est désormais l’aînée de ses parents...

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  17. Même si je radote, je te le redis :
    Ils ne seront vraiment morts que quand il ne restera plus personne pour penser à eux...

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  18. Quelle bonne idée de l'écrire, cette lettre. Nous portons en nous nos chers disparus, nous leur parlons si souvent en silence - mais les mots ravivent le lien, comme tu le fais ici. Nous sommes orphelines aussi de ces dialogues devenus impossibles que nous rêvons souvent de reprendre.

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    1. oui Tania
      il y a des conversations, des explications que j’aimerais reprendre approfondir.
      De son vivant, je ne réalisais pas combien c'aurait pu être important, capital même!

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  19. Bien sûr qu'il aurait été fier de toi, Coumarine ! C'est une belle idée que tu as eue d'écrire cette lettre. Tu me donnes l'envie d'en faire de même, une lettre adressée à chacun de mes parents, dire ce que je n'ai pas pu dire, pas oser dire. On dit qu'il n'est jamais trop tard pour dire les choses, même s'ils sont partis depuis longtemps.
    Je t'embrasse, Coumarine.

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  20. Simplement 3 mots : je suis touchée .

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  21. je suis désolée de ne pas poouvoir répondre à chacun d'ente vous
    - d'abord parce que ce sujet me touche plus que je ne le pensais
    - et puis parce que je suis malade depuis mardi...pas bcp de courage (rien de grave...

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