Quatre maisons successives et pourtant sans domicile fixe. Je ne vois même pas ma chambre. Et ce que je vois, je le confonds avec la maison suivante. Ma chambre, où est ma chambre ? Ah oui ! Dans une mansarde! L’odeur me chatouille le nez. Relents de poussière. Y a-t-il un lit, une armoire, une chaise, une poupée, deux ou trois jouets ? Y a t-il là une vie pour une petite fille?
Je vois une lucarne. Derrière il y a des voyages fabuleux. Petits nuages facétieux, pluies qui tricotent des danses singulières. Ciel miniature aux dimensions de la lucarne. Miniature mais prometteur. Je monte sur une chaise. Je m’accroche. Peut-être que je m’envole, mais peut-être que je vertige simplement…. Le bras est cassé, mais enfin tu faisais quoi là haut ?
Puis l’autre maison. Mais elle est étroite, elle me serre à la gorge. Asthme. Respiration qui grimace. Au secours. Grand air. Il me faut le grand air. D’ailleurs le médecin l’a dit du haut de ses lunettes sévères. Alors la mère me dépose dans le grand air. Elle fait son devoir. Je pars… pour toujours ?
Je ne sais pas, je ne sais plus. Qui me dira? au secours, j’ai pas mon doudou, je suis seule dans un endroit inconnu, avec une dame inconnue. Il y a un petit chien. Faux mouvement, un long hurlement. La dame enceinte tombe sur le petit chien. Le bébé… du sang sur le carrelage, la dame ne se relève pas. C’est ma faute, je tremble. Je me cache au plus profond de ma peur. Je me recroqueville dans les plis de ma frayeur.
Plus de bébé. Vilaine fille qui fait tomber les gentilles dames enceintes.
Plus de grand air non plus. On ne veut plus de moi. D’ailleurs ça tombe bien, il l’a dit le médecin que je suis guérie. J’ai appris à être très sage, à me taire, à oublier. Oublier, c’est simple, non ?
Donc je reviens dans ma maison. Mais dans quelle maison ? Celle du début ou celle de la fin de l’histoire ? Elle est où ma chambre ? ma rue ? ma maison ? elle est où mon enfance ?
J’erre dans la rue, j’ai perdu maman, oh ! la vilaine fille qui s’enfuit quand on l’appelle. Le grand air. Au secours je cherche le grand air. Il faut que je le trouve. Tant pis si je perds maman qui va me chercher. Je tourne fou dans la rue, la rue d’en haut, la rue d’en bas, partout, où est maman, où est mon horizon? Errance involontaire, paquets de peurs, angoisses géantes. Il y a des loups garous dans les rues solitaires, des loups qui donnent des bonbons empoisonnés, m’a dit maman. Je ne vois ni loups, ni bonbons, je ne vois rien, maman a disparu. Je suis trop petite pour voyager, pour m’évader. Il faut que je rentre, il faut, je dois, obligation de… oui maman je le ferai, non papa je le ferai plus, je promets maman, pas te fâcher, pas bouder, s’il te plait maman, j’aimerais que tu…
J’aimerais tant que tu t’évades des sillons toujours sombres de ta figure, s’il te plait, je respire pas, asthme, nœud dans la gorge, voix de rocaille.
Quand je serai grande je partirai, je voyagerai dans les étoiles, comme le petit prince, je rencontrerai un renard et puis aussi un serpent, pour aller ailleurs, là où l’on respire. Librement.
Voyages inattendus. Insoupçonnés parfois aussi. On ne s'imagine pas tout ce qui se passe dans la tête d'un enfant. Parfois, cela fourmille d'inquiétudes, de questionnements sans réponse, de quête, de recherche...
RépondreSupprimerA d'autres moments, ce sont des voyages inattendus vers des rêves lointains tellement beaux.
Ombre et lumière. Même dans la tête de nos petites têtes blondes.
Bonne soirée Coumarine !
A lire ce billet, j'ai le coeur serré et besoin de serrer mes enfants contre mon coeur, mais ils ne sont pas là...
RépondreSupprimerLa souffrance d'un enfant...
Merci pour ce billet très vrai et très poignant chère Coumarine.
Texte très émouvant qui me fait penser au livre "L'enfant à l'endroit, l'enfant à l'envers" de Nicole Versailles ; je te le conseille, c'est un très beau livre... J'espère que tu l'as trouvée ta maison du bonheur. A bientôt Coumarine.
RépondreSupprimerA la fin de ton billet, j'ai ressenti le besoin de respirer à pleins poumons. Comme tu transmets parfaitement ce sentiment d'angoisse d'enfant, Coumarine....
RépondreSupprimerà tous
RépondreSupprimeroui on ne sait pas toujours combien la souffrance d'un jeune enfant peut être intense. Les enfants apprennent à la cacher, ils peuvent se taire des années durant sur un secret douloureux(d'inceste par ex)
Il y a beaucoup de force dans un enfant, au delà de sa fragilité
Petit belge... oui je trouve aussi que ce texte fait penser à L'enfant à l'endroit, l'enfant à l'envers... j'écrirai à l'auteur pour le lui dire ;-))
Bonsoir Coumarine,
RépondreSupprimerEt moi, pour de "vrai", j'ai hâte de le lire ce livre "L'enfant à l'endroit, l'enfant à l'envers", s'il est aussi poignant que ce petit texte...
Bonne fin de soirée, Coumarine.
Je t'embrasse.
Les angoisses enfantines sont trop souvent minimisées.
RépondreSupprimerTouchée, Coumarine, je suis (oui, j'en perds même l'ordre des mots).
RépondreSupprimerMerci.
J'ai tendance à minimiser mes propres angoisses enfantines. Je serai en tous cas incapable de les mettre en mots comme tu le fais.
Bravo.
(Je travaille au texte sur l'autocensure, mais je ne promets pas de le terminer. Ne t'attends en tous cas pas à grand chose de nouveau par rapport à ce qui a déjà été publié ici et là sur le sujet)
@sel... ne t'en fais pas pour ton texte sur l'autocensure
RépondreSupprimerOui j'ai quasi terminé le chapitre,mais ce que tu as écrit déjà, même si ce n'est pas terminé, m'intéresse beaucoup
Donc si tu as peu de temps, envoie-moi simplement ce que tu as... je le lirai avec intérêt ;-)
@Françoise...vivement tes vacances alors, pour découvrir ce livre... ;-))
@mab... minimisées... ou même pas vues, par manque d'attention sensible...
Poignant ce texte Coumarine. Il me fait penser à quelqu'un...
RépondreSupprimerLe Petit Prince a fait beaucoup de découvertes durant son voyage de planète en planète ... Mais pas que des bonnes. Ce que je retiens ,c'est que c'est sur la planète "Terre" qu'il a rencontré le renard.Heureusement qu'il a fait ce détour pour enfin comprendre où c'était chez lui.
En voyage, tu reconnaîtras le poème, car il respire avec toi.
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup ce texte et je crois que j'aimerai beaucoup lire "L'enfant à l'endroit, à l'envers" quand j'aurai de nouvelles lunettes. À la rentrée, je tâche de me le procurer.
RépondreSupprimerTrès touchant ton texte ! J’avais la chaire de poule en te lisant, j’étais dans ton récit comme si c’était moi cet enfant à la recherche d’oxygène et de tendresse.
RépondreSupprimerComment fait-on pour arriver à communiquer de la tendresse quand dans la petite enfance on en a manqué cruellement?
Merci Coumarine pour tes partages !
Le Creuset
@Charlotte... ilfaut parfois faire un grand détour et vivre bien de aventures avant de trouver son "chez soi" en effet!
RépondreSupprimer@Jacques... oui le poème respire avec moi, tu sais tes mots me touchent et m'émeuvent...
@Berthoise je t'envoie un mail à ce sujet...
@Le Creuset... on dit qu'on ne peut donner que ce qu'on a reçu... je crois que ce n'est pas toujours vrai: il y a des gens qui vivent une véritable résilience...
Bonjour Coumarine, je lis ce texte et c'est étrange, il me semble l'avoir déjà lu...oui c'est ça...je vais chercher au milieu de mes livres "L'enfant à l'endroit, l'enfant à l'envers" je tourne vite les pages et je trouve le chapitre "Le grand taire" et oui il n'y rien d'étrange c'est la même petite fille que l'on a éloignée de sa famille pour soigner son asthme et qui se retrouve dans une chambre inconnue, sans son doudou et avec plein de loups! Toujours très émouvant de se replonger dans son passé quand on est persuadé de ne pas avoir été désiré et aimé! L'enfant a tellement besoin d'amour pour grandir et l'enfant qui est en nous en demande je pense jusqu'à son dernier souffle!
RépondreSupprimerL'univers d'un enfant n'est pas fait que d'angoisses, de peurs déraisonnées. A travers les images que lui forge son imagination, c'est une réalité filtrée qu'il dénonce, par peur de la rendre encore plus vraie. Un texte émouvant !
RépondreSupprimer@Josiane... oui j'ai parlé du "grand taire" dans mon livre, de là l'impression de connu que tu as eu... ;-))
RépondreSupprimer@saravati...chez un enfant la réalité est déformée pas ses ressentis...c'est pourquoi, deux enfants d'une même famille peuvent avoir vécu deux enfances complètement différentes
Il n'y a pas de "vérité" dans ce domaine...
Quel beau texte! Mais poigrant, également. On est et on souffre et on espère comme cet enfant que l'on aurait pu être, que j'aurais pu être.
RépondreSupprimerPoignant. Pas poigrant qui ne veut rien dire.
RépondreSupprimermerci de nous livrer ce billet touchant qui me ramène à penser cette fameuse résilience
RépondreSupprimerOn peut donner même si on a pas reçu , la tendresse c'est le coeur , pas la tête
c'était un drôle d'époque , celle des séparations , ces fameuses cures où on envoyait les enfants pendant des semaines , sans qu'ils comprennent pourquoi
Souvent à mes stagiaires qui me disent que c'était mieux avant , je les ramène à ce contexte , on ne disait rien , l'enfant subissait
tu as la force des mots , j'aimerais les transmettre à d'autres , pour y voir un peu plus clair
bonne et douce soirée à toi
@Damien... c'est amusant, parfois on écrit tellement vite son commentaire que pffffffuuuit, il est parti avant d'avoir eu le temps de le relire
RépondreSupprimerça m'arrive souvent ce genre de fautes dans les commentaires que je fais alors que les billets je les relis au moins trois fois avant de les publier
Merci à toi...
@Jeanne...avant en effet il n'y a pas encore eu Dolto qui a appris qu'il était important d'expliquer aux enfants, même petits tout ce qui les concernait, et surtout une séparation
Les parents autrefois partaient sans rien dire, pour éviter les pleurs, mais ça faisait des dégâts!
Bonjour Coumarine,
RépondreSupprimerSur le billet, je ne dirai pas de mot.
je n'ai plus de maison, je n'ai plus envie de demeurer, j'ai besoin que mes semelles deviennent des semelles de vent et qu'elles me conduisent où est ma place. Où est-elle cette place où je ne serais pas la différente, où je ne serais pas l'étrangère. Ce lieu du silence et de la parole juste, où est-il ?
Je te souhaite à toi et à ceux que tu aimes une belle fête du 15 aout.
@Nicole... ce sont là des questions bien graves que tu poses...
RépondreSupprimerJ'en retiens une qui me frappe fort...
"ce lieu de la parole juste, où est-il?"
A te lire ça et là, j'ai bien l'impression que ce lieu se trouve tout au fond de toi...
Je t'embrasse
pour t'avoir confié un jour par mail mes peurs d'enfance, ton beau texte résonne en moi et je comprends aussi les commentaires de ceux qui te lisent.
RépondreSupprimerOn sous-estime toujours ce qu'un enfant n'exprime pas !
belle journée à toi, à tous !
Prends la route, ta route et vis...
RépondreSupprimerUn très beau texte que j'ai loupé cet été, car j'étais en vacances... mais ton blog m'en a proposé la lecture, par synchronicité j'y suis allée...et mon fils a fait une crise d'asthme hier.
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