jeudi 25 octobre 2012

Les maisons de mon enfance


Dans mon enfance, quatre maisons successives. Quatre petites maisons, situées toutes dans le même quartier du centre de Bruxelles. Quatre répliques quasi identiques l’une de l’autre… peu de souvenirs de l’intérieur de ces quatre maisons. Tout est occulté d’un voile gris. Ressentis pesants. Pas d’images précises, pas de couleurs, pas de sons, quelques sensations seulement…. des odeurs surtout…

Ma chambre, où est ma chambre ? Ah oui ! Tout en haut. Dans une mansarde ! A côté de celle de mon jeune frère. L’odeur me chatouille le nez. Relents de poussière et de solitude. Nous deux, sous les combles, un peu isolés peut-être, mais protégés, loin du cœur énervé de la maison. Tous les deux on est bien, comme des jumeaux, partageant secrets, jeux, petites joies et  gros chagrins…

Je vois une lucarne. Derrière il y a des voyages fabuleux. Petits nuages facétieux, pluies qui tricotent des danses singulières. Ciel miniature aux dimensions de la lucarne. Miniature peut-être, mais prometteur. Je monte sur une chaise. Je m’accroche. Je pense que je vais m’envoler… vertige, chute…. Le bras est cassé, mais enfin tu faisais quoi là haut ?

L’autre frère, le grand, ainsi que les parents, vivent au premier dans les belles pièces. La chambre des parents, sanctuaire inviolable. Avec son odeur de renfermé dans cette pièce dont les fenêtres n’étaient jamais ouvertes. La chambre de monsieur le grand frère, tout aussi inviolable, mystérieuse, remplie de toutes sortes de papiers importants.  Défense de toucher. Ah oui ! Il y a les affiches punaisées sur le mur, lacs italiens, montagnes suisses, c’est beau, ça fait rêver,  mais c’est loin, hors de ma portée.

Au bel étage la salle de bain, tellement éloignée de nos chambres mansardées… Il fait si froid pour y arriver. On grelotte. Derrière la porte, la toilette, c’est là que la fillette que je suis encore, découvre le cœur battant, son premier sang de femme. Ca fait un peu peur quand même ! Mal au ventre, je pleure. La mère, embarrassée, me donne des serviettes qui grattent. La temps de l’innocence est fini !

En bas, le salon est la « belle pièce », exclusivement réservée pour recevoir. Comme cela arrivait une fois par an et encore, ce salon était pièce interdite, endroit feutré où dormaient les objets que l’on disait précieux, les tableaux sévères de quelques ancêtres dont on avait oublié le nom. Mon jeune frère et moi, on s’y aventure parfois le cœur en émoi, impressionnés par le silence et l’immobilité de l’endroit, l’odeur de la cire se mêlant à celle de la poussière : on regardait timidement, car même nos regards supposaient une incursion défendue. Mais le salon semblait alors s’animer par nos visites sur la pointe de nos pieds intimidés. Puis rapidement nous refermions la porte, ce lieu était trop étrange, trop différent des autres pièces où l’on vivait, où l’on pouvait au moins un minimum, bousculer ou déplacer les choses.

A côté la salle à manger, sombre, aucune lumière venant de l’extérieur. C’est aussi une pièce de grandes personnes, je la traverse pour aller rapidement dans la véranda, qui est la pièce à vivre, à écouter la radio, à coudre, à lire le journal, à lire tout court, à jouer aux billes avec le petit frère.
J'ai tellement joué aux billes avec mon frère, que j'en avais l'ongle du pouce tout déformé...

18 commentaires:

  1. Venue te lire, rapidement en passant.

    Cette maison ne fait pas très envie.

    Que dire de celles de mon enfance. Celle des mes parents ? Celle de mes grands-parents dans la grande ville ? Celle des mes grands-parents au bord de la mer ?

    Plein de choses.. Mais pas le temps.. Juste de passage.

    Bises Coumarine

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  2. Que cette narration est touchante,la ou les maisons de l'enfance,avec ses odeurs ,ses interdits,et pour moi ,surtout ,les personnes ....j'ai fait du chemin,les événements,leur façon de faire comprendre,sans dire,leurs gestes brusques,voir plus,leurs mots violents de non considération ,de rejets,leurs moqueries,leur morale à deux sous....et puis un jour ;de l'an2007 je décide..que leurs prénoms,leurs visages,leurs non-dit,ce n'était plus pour moi...Dieu quelle liberté dans ma tête,dans mon coeur....voilà de la place pour les sincères ...et aujourd'hui je pense qu'il faut absolument tout faire pour ne pas avoir à rougir de ses actions le moins possible...l'erreur est humaine .C'est rare que je m'exprime dans votre chez vous,je lis ,le plus souvent et voilà vos mots m'interpelle...même ce qui n'est pas écrit mais que je devine ,joli jour à vous ,prenez soin de vous!!

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  3. Il y a un an nous avons emménagé dans une maison qui, j'espère, sera celle de l'enfance des deux lardons que j'élève. Quelle difficulté qu'a été le choix des chambres à attribuer à chacun. celle du bas, prêt de la porte d'entrée pour les parents, comme pour garder la maison "au cas où", l'étage dédié aux enfants, sans conteste. Trois chambres, trois vues différentes, trois tailles différentes. Le sentiment de m'être peut-être trompée dans la répartition et pourtant ils semblent satisfaits de leurs univers propres et communs. Dur choix. Ton texte me replonge dans ce questionnement. Et pourtant, j'espère ardemment que leurs souvenirs seront meilleurs que les tiens. Ton texte est très touchant. Bises

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  4. Haaaalala... surprenante Coumarine.. :)
    Comme j'aime ce texte, comme j'aime cette écriture là où tant d'émotions fortes affleurent et pénètrent le lecteur... Cette écriture authentique bien que si fortement maîtrisée... :)

    J'aime particulièrement ce passage qui me touche beaucoup:
    "Je vois une lucarne. Derrière il y a des voyages fabuleux. Petits nuages facétieux, pluies qui tricotent des danses singulières. Ciel miniature aux dimensions de la lucarne. Miniature peut-être, mais prometteur. Je monte sur une chaise. Je m’accroche. Je pense que je vais m’envoler… vertige, chute…. Le bras est cassé, mais enfin tu faisais quoi là haut ?"

    merci pour ce beau moment de lecture et de partage!

    Porte toi bien :)
    Bises de france :)

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  5. Je me souviens surtout d'une maison de mon enfance, celle où j'ai vécu une quinzaine d'années. Les lieux ne sont plus aussi nets dans ma mémoire et ce sont surtout les petits détails de notre vie en famille qui me reviennent en tête.
    C'est avec nostalgie que ton texte me fait penser à cette période.
    Bonne soirée Coumarine :)

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  6. il y a bien des choses, dans ce texte, y compris ce qui n'y est pas dit ;-)

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  7. de l'art de suggérer par touches de souvenirs ces bouquets surannés qui emplissent encore la vue, c'est très touchant, à bout touchant même, ça emplit l'âme de la curieuse nostalgie de ce qui fut.
    merci Coum et bonne soirée

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  8. Ton texte, si bien décrit, me plonge direct dans la première maison de mon enfance. Petite maison de bois, en plein champs, un seul poêle à bois pour se chauffer était insuffisant, les hivers sont si froids au Québec, douze enfants, j'étais la neuvième, avec en plus ma grand-mère et une soeur de ma mère qui vivaient avec nous! Nous étions pauvres mais tous le village l'était aussi. Mes souvenirs sont heureux! Les champs, le ciel, les talles de bleuets, les clôtures de perches, une vache pour le lait, quelques poules, et la neige. Habillé pas très chaudement, l'hiver ne nous faisait pas peur. On glissait dans les longues côtes à la pleine lune, on courait dans les champs sur la "croûte" de la neige. Et encore aujourd'hui je me sens bien, si bien en pleine nature. L'énergie y est si enveloppante, le calme si ennivrant. Au-delà des cris, des disputes, mes parents étaient très autoritaires,quelque chose de très doux s'est installé en moi. Et je crois que profondément en nous, l'enfant en nous celui d'hier et d'aujourd'hui était et est connecté au Divin. Merci d'avoir éveillé en moi un passé qui m'est cher. Maty

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  9. Ce texte me touche. Tes souvenirs des lieux avec les odeurs, les images, les ressentis appellent les miens.

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  10. Merci à vous tous..
    Vous me faites plaisir à vous rappeler de vos propres souvenirs, nostalgie pour bcp d'entre vous...
    et d'en écrire quelque chose ici, petite lieu de partage
    Je vous répondrai demain;-))

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  11. Ton texte est superbe, descriptif et en même temps, plein de retenue.
    Il me replonge dans mon enfance, surtout aujourd'hui où quatre enfants (vieux enfants !) étions réunis pour entourer notre mère qui fêtait ses 105 ans ! j'étais la "petite dernière" , un peu protégée et beaucoup moins affranchie sur les "choses de la vie" que le sont les enfants de maintenant; A 7 ans, quand ma première nièce est née, on m'avait éloignée de la maison en me racontant qu'une petite fille était née, que le bateau l'avait amenée et on m'a montré une boite en carton aménagée... quelle stupidité en y repensant !
    le linge mensuel souillé que je voyais, j'ose à peine raconter ici ce que ma mère me disait pour m'expliquer, cela parait si ridicule, si loin ...
    Je suis ainsi arrivée à l'adolescence tellement naïve, heureusement qu'il y avait les copines avec des parents plus jeunes pour m'initier un peu !
    tout était caché à cette époque, était-ce bien, était-ce mal ?
    maintenant, on enlève trop vite l'enfance à l'enfant, pas de juste milieu rationnel entre l'avant absurde et le maintenant. Tout va trop vite !
    bisous Coumarine et merci pour ce plongeon dans tes souvenirs (et les miens)

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  12. Tu as de la tendresse pour tes souvenirs, je le ressens. Même si les mots décrivent des lieux pas forcément très agréable, c'est ton enfance, c'est ta vie et tu passes un peu de polish sur les vieux cuivres de la rampe, pour les rendre plus lumineux. Je ressens très fort plein de choses à ta lecture et bizarrement, je ne parviens pas à les exprimer. C'est un texte qui touche au sens propre.

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  13. Comme il me touche, ton texte, je l'aime vraiment beaucoup !
    C'est émouvant de t'imaginer petite fille et il me fait replonger dans mes propres souvenirs dans ma maison d'enfance.

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  14. Que d'émotions diverses en pensant à la petite fille qui deviendrait Coumarine, c'est curieux mais tu ne parles pas de la cuisine coeur de toute maison?

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  15. Hello Couamrinette !

    Les maisons de l'enfance ...
    L'enfant à l'endroit, l'enfant à l'envers, je la retrouve bien ici.
    Le maître es cartaches aussi.

    Je me demande si les lieux de vie de l'enfance constitueraient une forme de conditionnement comportemental pour le futur ?
    Affaire à suivre ...
    Je t'embrasse très très FOOORRRT,
    Filo

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  16. Quel touchant post !
    En te relisant, j'ai repensé à la maison de mon enfance, celle dans laquelle je me sentais reine en son royaume, toujours si chère à mon cœur.
    Je suis baignée de magnifiques souvenirs que je porte aujourd'hui encore en tant qu'adulte.
    Je t'embrasse :))

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  17. Bien des problèmes avec l'ordi et quelques corvées prenantes m'empêchent de consacrer à ce beau billet tout le temps qu'il mérite.
    Mais je voulais quand même te dire qu'il m'a parlé, oh oui, tant par ce qu'il dit que par ce qu'il ne dit pas. Et qu'il a éveillé en écho bien des souvenirs personnels...

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  18. Très jolie manière de dire et de ne pas dire, j'admire.
    Un monde que je ne connais pas j'avoue. Une pièce réservée qui ne sert qu'une fois par an, ça me fait tellement bizarre, je pense à un château...

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